Françoise et Jean
Regard croisé sur la fin de vie d’une mère malade et de son fils
Françoise, quelques mois avant sa mort (des extraits de son journal)
Faut-il dire ? Faut-il écrire ? Est-ce nécessaire ? Rien de nécessaire, mais peut-être est-ce libérateur…partageable… ?
Le chirurgien a ouvert, le chirurgien a fermé, il ne peut rien faire. Simple opération d’investigation. Et moi endormie, je laisse voir ce mal qui m’habite que l’on dit « contenu » ! Après tout, ce clandestin, c’est une partie de moi, peut-être pas la plus glorieuse. C’est aussi un ennemi avec qui je pactise tout en souhaitant le chasser. Je ne peux pas être toujours en guerre. C’est une perte d’énergie considérable. Alors je navigue entre le refus et un peu de douceur. L’image du crabe, je la rejette. C’est une image totalement négative…une image de mort, je lutte pour le maintien de la vie, et c’est peut-être là que la paix peut trouver sa place…………
Ce parcours, ce long parcours est surtout pour moi une plus grande intensité de vie. Cela peut paraitre bien prétentieux! D’ailleurs, je ne sais pas vraiment ce que signifie « se préparer à la mort ». Véritable méditation au plus profond de moi, ma sérénité est soutenue par le débat du cœur avec le malheur. Peu à peu la peur s’éloigne. Je me détache mais je ne fuis pas le contact, même avec ma souffrance, pour ne pas risquer une perte de vie, un abandon de mon identité profonde. Non, je ne change pas, je ne me sens pas une handicapée de l’existence. Je ne m’invente pas un défaut fondamental de ma construction psychique. Je ne change pas, mais je bouge…..
De la fenêtre de ma chambre, je regarde le chêne si solide, si doré en cet automne et je connais sa force puisqu’il a résisté à le tempête. Et moi, si fragile, je fais alliance avec lui. Je mesure que sans cette émotion, je pourrais glisser de la peur à l’angoisse, totalement irrationnelle…. Et alors comment se battre ? Demeurer dans une peur « habitable ».
Cette énergie qui me vient d’on ne sait où, me permet de partager mes bonheurs, au jour le jour, mes malheurs au jour le jour. En face de moi, l’Autre est prêt à le recevoir. Je me fais le plus léger possible mais je ressens le besoin d’être entourée et je peux en faire la demande. Je lis rarement dans les yeux de ceux que je rencontre pitié, regards gênés du bien portant face au malade. Peut-être suis-je assez rassurante pour que l’autre reste en paix. Cette paix, l’autre me la renvoie…..
Peut-être un jour je basculerai dans la souffrance, dans l’angoisse. D’échec thérapeutique en échec thérapeutique. Aujourd’hui ce n’est pas ce qui m’habite. Je vais vers mon risque, mais je serre mon bonheur, car lui, m’habite au plus profond de moi. La vie pour la Vie.
Jean, le fils de Françoise
La tentation est forte aujourd’hui de réduire la vie de maman à sa maladie. Mais la force de caractère qu’elle a manifesté durant cette dernière période n’est rien d’autre que la manifestation de ce qu’elle est vraiment, du moins de ce que moi, je retiens d’elle.
Maman nous a constamment tenus informés de l’évolution de sa maladie, sans se cacher derrière la formule « longue et douloureuse maladie ». Ce n’est pas très étonnant en fait : Maman a toujours refusé l’approximatif du prête à penser conventionnel, elle a toujours cherché à affronter la réalité, même dérangeante, même à contre courant, pour aller au plus profond et dégager l’essence des choses. Maman savait douter et c’est une grande force. Parce que son doute n’était pas celui des sceptiques. Au contraire, c’était sa force pour aller plus loin dans la recherche de la vérité, pour fonder ses certitudes, elles-mêmes en évolution permanente.
Curiosité et rigueur intellectuelle ? Bien sur, je me rappelle, comme beaucoup ici surement, ses discussions et remises en cause philosophiques, sociales ou politiques. Mais c’est beaucoup plus que cela.
Pour maman je crois, la discussion, la recherche et la transmission de la Vérité n’avaient de sens que si elles étaient au service de l’intervention active de la Vie, de la lutte pour que les choses changent. Vérité et lutte pour la justice, pour donner toute leur place à ceux qui ont le plus de difficultés dans ce monde.
Je crois que si elle a su combattre pied à pied contre la maladie, c’est que pour elle, la Vie ellec même était un combat permanent.
Ces aspects de la vie de maman, je les revendique. Là est, selon moi, le sens de la vie. C’est notre capacité à transformer aujourd’hui, et à transmette pour demain la force de notre message.
Je ressens profondément que, comme beaucoup d’autres d’ailleurs et pas seulement dans sa famille directe, je suis le témoin et la continuation de la vie de maman. C’est pour cela qu’aujourd’hui, même si nous pouvons pleurer sa mort, nous sommes sûrs qu’elle a réussi sa vie.